(Cotahuasi – Arequipa) Une curiosité m’a guidé vers le canyon de Cotahuasi, l’un des plus profonds au monde. Pourquoi est-il dans l’ombre du Colca, canyon moins grandiose mais qui jouit d’une notoriété que ne démentent pas les quelques 65 000 visiteurs chaque année ?
Réponse : la distance. En autocar, il faut mettre environ 4 heures pour arriver à Chivay, point d’entrée du Colca. Pour arriver à Cotahuasi en revanche, le voyageur doit rouler 10 heures sur une mauvaise route rocailleuse. L’attente en vaut la peine car une fois descendue de véhicule, le villageois à cheval, les femmes portant sur leur dos une botte d’herbe, donnent la vive impression d’être dans une vallée épargnée par le temps et bien ancrée dans ses traditions. En termes de beauté, le premier n’a rien à envier au second. Le Cotahuasi reste donc méconnue et sous-estimée comme région.
Un homme veut faire de cet endroit unique une destination touristique aussi reconnue que le Colca, mais sans les ravages causés cette industrie. L’homme derrière la vision, José Alvaro Ruiz, est anthropologue de formation. Natif de la région, il a vécu en Allemagne et en Espagne plusieurs années avant de retourner au bercail où il est devenu conseiller pour la municipalité provinciale de La Union, la région la plus démunie de tout le département d’Arequipa. « Trop souvent, les coopérants venus d’ailleurs, bien que remplis de bonnes intentions, repartent d’ici après deux mois alors que les problèmes, eux, demeurent. La région connaît de lourds problèmes organisationnels qu’une personne de l’extérieur aura du mal à comprendre et à résoudre. »
Quoi qu’en dise la propagande gouvernementale qui prétend avoir libéré le pays de l’analphabétisme, José Alvaro soutient que la province souffre de graves lacunes en la matière. « Trois ans plus tôt, j’ai mené une investigation dans le village de Cahuana. Des 120 femmes de la communauté, 48 ne savaient ni lire, ni écrire. La majorité de ces femmes avaient 23 ans et plus. »
Le seul hôpital de la région, situé dans le village de Cotahuasi, ne peut opérer les malades, faute d’équipement approprié. Les patients doivent prendre la même longue et pénible route qu’a empruntée le voyageur.
L’homme ne se laisse pas démonter pour autant par l’ampleur des défis que doit relever ses concitoyens. « La province manque d’équipement, toutefois nous avons le plus grand et le plus beau canyon du monde à offrir aux visiteurs du monde entier. La solution réside dans cette équation. »
Grâce au statut d’aire naturelle protégée dont bénéficie le canyon depuis sept ans, l’anthropologue souhaite créer un pacte entre le visiteur et l’habitant à travers le tourisme solidaire. « D’un côté, les villageois ne demandent pas d’argent aux voyageurs, en retour, les étrangers qui visitent la région s’engagent à contribuer au développement local à travers un ONG exonéré d’impôts. On peut miser sur la richesse culturelle de nos communautés, sur l’agriculture biologique, sur des restaurants servant des aliments du terroir.»
Selon lui, le tourisme solidaire se distingue du tourisme conventionnel par le bénéfice qu’en tire toute la population, et non pas « une poignée de propriétaires d’agence de la grande ville. En dépit de sa popularité, la région du Colca demeure très pauvre. »
Pour José Alvaro, le Cotahuasi, encore très peu développé en infrastructures touristiques, ne doit pas emprunter le même virage que le canyon de Colca ou le Machu Picchu avec ses hôtels de luxe, ses forfaits tout-inclus, ses boutiques de souvenirs. « À Chivay, dans le canyon de Colca, le tourisme est total et commercial, c’est-à-dire que chaque chose à un prix. À Cotahuasi, les rapports entre étrangers et locaux restent authentiques. Par hasard, si un visiteur se retrouve dans une fête de village qui lui donne l’opportunité de connaître une facette de notre culture. Personne ne pensera à lui demander de l’argent comme s’il venait d’assister à un spectacle. De son côté, le touriste aurait l’opportunité d’aider l’économie locale en offrant des cahiers d’école pour les enfants du village par exemple. »
Sorte de troc humaniste entre les cultures, le rêve de José devra prendre forme avant l’arrivée inévitable de l’autoroute asphaltée qui reliera la vallée de Cotahuasi à la grande ville, diminuant les coûts et le temps du transport et pavant ainsi la voie à la modernité. « Cela ouvrirait la région au monde extérieur avec les avantages et les désavantages de la modernité. L’Histoire nous apprend que l’arrivée de l’autoroute tue les cultures existantes. Avec l’autoroute, viennent les voitures. On pourra dire adieu aux chevaux et aux bêtes dans les rues. Ce jour arrivera tôt ou tard, les habitants devront être préparés à ce bouleversement, mais présentement ils ne sont pas prêts. »
(Article rédigé par David Riendeau)