Lundi 21 janvier 2013, le gouvernement du président Enrique Peña Nieto a donné le coup d’envoi à la « Croisade nationale contre la faim », un programme social qui a pour but d’apporter un soutien alimentaire aux secteurs les plus pauvres du pays en combinant les efforts de différents acteurs publics, d’entreprises privées , mais aussi d’ONG. Le programme doit permettre aux 7,4 millions de Mexicains qui vivent dans une extrême pauvreté souffrant de sévères carences alimentaires d’avoir accès à cette aide déployée en faveur de 400 municipalités. Cette initiative menée par le ministère du Développement (SEDESOL) n’est pas sans rappeler les programmes fédéraux développés sous les gouvernements précédents comme le programme social Oportunidades (lancé en 2002 et fondé sur le programme antérieur Progresa), le programme de soutien alimentaire, le programme pour les personnes âgées, ou encore le programme destiné aux mères de famille…
« Il n’y a rien de pire pour le développement d’une nation que d’avoir des enfants qui ne sont pas nourris correctement (…) L’alimentation est un droit qui ne s’est pas matérialisé pour tous les Mexicains », a déclaré le chef de l’État lors du lancement du programme qui s’est tenu à Las Margaritas, dans l’État du Chiapas, au sud-est du pays. Le Chiapas, une région particulièrement pauvre du Mexique puisqu’un habitant sur trois souffre d’extrême pauvreté, un paradoxe lorsque l’on sait qu’il s’agit d’un État riche en ressources naturelles générant 50 % de l’énergie hydroélectrique du pays ! Selon des chiffres émis par le secrétariat du développement social, le Mexique dénombre 52 millions de pauvres dont 11,7 souffrent d’extrême pauvreté. Le chef de l’État a souligné que toutes les institutions dépendant du gouvernement fédéral travaillaient à cette cause et a invité le chef de gouvernement du district fédéral et les gouverneurs à la tête de chaque État à se joindre à cette campagne d’aide alimentaire aux plus démunis. Le président de la République a expliqué que la croisade est une stratégie sociale qui cherche à renforcer les capacités productives des zones où l’on dénote la plus grande marginalisation et à développer l’énergie communautaire et sociale des Mexicains.
« La croisade nationale est considérée comme une stratégie intégrale puisqu’elle va concerner des individus qui présentent jusqu’à six carences sociales », a affirmé pour sa part le secrétaire attaché au développement social, Rosario Robles. Ce dernier a précisé que le programme serait évalué afin d’éviter tout risque de « démagogie », ajoutant que la croisade se basait sur deux aspects, tout d’abord la production des aliments, mais aussi son accessibilité, pour ce faire il a précisé que le Mexique nécessitait « des changements structurels ».
Peña Nieto a également mobilisé la population pour qu’elle rejoigne cette lutte contre la misère en déclarant « c’est une obligation éthique ». Au Mexique, un peu moins de la moitié de la population vit avec six dollars par jour, ce qui équivaut à environ 2000 pesos mexicains par mois, des chiffres qui apparaissent dans le rapport de 2010 du Coneval ou Conseil national d’évaluation de la politique de développement social (Consejo Nacional de Evaluación de la Política de Desarrollo Social). Les État d’Oaxaca, du Chiapas ou encore de Veracruz comptent sur des municipalités qui présentent un pourcentage de personnes souffrant d’insuffisances alimentaires supérieur à 95 %. La localité la plus pauvre est celle de San Juan Tepeuxilia, à Oaxaca dont 97,4 % de la population vit dans des conditions précaires. Ce sont pas moins de 1000 municipalités mexicaines, soit 40 % du total, qui abrite plus de 75 % de pauvres. Le rapport indique également que la pauvreté peut être rurale, mais aussi urbaine comme la ville de Puebla, Iztapalapa Distrito Federal et la municipalité de Ecatepec dans l’État de México, qui compte le chiffre le plus important de personnes pauvres plus de 700 000 personnes, toujours selon des chiffres émis par le Coneval. Selon cet organisme, la population pauvre concerne les individus qui vivent en présentant au moins une carence sociale (éducation, santé, sécurité sociale) et un revenu insuffisant pour subvenir à leurs besoins alimentaires ou pour se loger décemment, entre autres. Les municipalités dont le taux de pauvreté extrême est particulièrement inquiétant sont Ocosingo, Chilón, Las Margaritas dans le Chiapas; Puebla, capitale de l’État éponyme; Acapulco à Guerrero; Ecatepec dans l’État de Morelos, Toluca capitale de l’État de México, León, Guanajuato, Iztapalapa et Ciudad Juárez, au nord du Mexique. 70 % de la population de ces municipalités est indigène, comme le précise le rapport témoignant de l’exclusion dont sont victimes les natifs.
Le secrétariat au développement social a précisé que ce programme viendrait en aide à 7,4 millions de personnes en situation d’extrême pauvreté (le pays en compte 11,7 millions) localisées dans 400 municipalités du pays. Sur ces 7,4 millions, 3,73 millions vivent en zone rurale et 3,67 en zone urbaine. « Oaxaca, Chiapas, Guerrero, Veracruz, Etat de México et Puebla sont les entités où se concentrent 66 % des municipalités prioritaires vers lesquelles nos efforts seront concentrés », précise un document de la Sedesol.
Le directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), José Graziano da Silva, a d’ores et déjà apporté son soutien à cette initiative menée contre la faim décrétée fin janvier par le président Enrique Peña Nieto. Dans le cadre d’une réunion privée, le chef de l’État mexicain et Graziano da Silva ont prévu dans les prochaines semaines de visiter une mission de la FAO afin d’évaluer le projet et d’apporter l’expérience de cet organisme. Dans cette optique, le mandataire a déclaré que la FAO pourrait accompagner le Mexique et faire part de son importante expérience « pour enrichir le projet mis en place » au moyen de la « Croisade nationale contre la faim ».
Nombreux sont ceux toutefois qui pointent du doigt les limitations de cette entreprise, c’est en effet 60 % des municipalités dont les habitants souffrent d’importantes carences alimentaires, principalement au sud et au sud-est du pays, qui sont exclues du programme. Federico Ovalle, secrétaire général de la centrale indépendante des ouvriers agricoles et paysans (Cioac) a rappelé qu’il fallait avant tout s’attaquer aux causes de la pauvreté (comme la création d’emplois) et pas seulement à ses conséquences via une aide d’urgence. Il remet clairement en question la politique agricole mexicaine qui privilégie les grands producteurs ou encore les industries agroalimentaires étrangères en mettant de côté les petits et moyens producteurs. Il a également remis en cause le montant attribué au programme national alimentaire, il était de 38 000 millions en 2012 et est passé à 37 000 millions en 2013 alors que le nombre de pauvres n’a fait que croître.
Parmi les grands défis du Mexique, le problème de la production quand on sait qu’aujourd’hui le pays importe 45 % des aliments consommés sur le territoire ! Avec la « Croisade contre la faim », rien n’est prévu pour l’appui à la production alimentaire, l’agriculture paysanne et l’intégration de la filière productive aux réseaux de commercialisation. Ce point devra être abordé par le Ministère de l’Agriculture qui définira, avec son propre financement, de plans d’action allant dans ce sens.
En seulement 10 ans, les importations mexicaines de maïs (importation de grains d’une façon générale a augmenté de 12 %), le grain qui constitue la base alimentaire de la Méso-Amérique, a été multiplié par quatre. Le Mexique est chaque jour un peu plus tributaire de ses importations, une situation inquiétante, car cela signifie qu’avec ce système de dépendance, « la Croisade contre la faim » ne sera pas capable de réactiver l’économie mexicaine. L’urgence est donc de produire suffisamment pour subvenir aux besoins de la population en modifiant le modèle économique et en créant de l’emploi, unique façon de parvenir à l’autosubsistance alimentaire.
Chaque jour le Mexique déplore la mort de 23 personnes atteintes de dénutrition. Entre 2010 et 2011, ce sont près de 103 000 personnes qui sont décédées des suites de déficiences nutritionnelles, des chiffres alarmants révélés par l’Institut national de statistiques et de géographie (INEGI).
L’ONU estime que 868 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde à l’heure actuelle. Parmi les huit objectifs du Millénaire pour le développement fixés par les Nations Unies auxquels l’ensemble des États Membres des Nations Unies ont souscrits (s’engageant ainsi à obtenir des résultast significatifs d’ici 2015) : l’éradication de la faim… « Le défi Faim zéro ».
(Aline Timbert)