Depuis près de trois décennies, l’Union européenne (UE) et les pays du Mercosur, une alliance économique composée du Brésil, de l’Argentine, du Paraguay, de l’Uruguay négocient un vaste accord de libre-échange.
Signé en principe en 2019, cet accord n’a pas encore été ratifié et demeure un sujet de polémiques houleuses.
En fait, la perspective de sa signature, annoncée lors du sommet du G20 à Brasilia en novembre 2024, relance les tensions, notamment au sein du secteur agricole européen.
Alors, retour sur ses enjeux, ses implications et les positions des différents acteurs.
Le Mercosur : une alliance économique stratégique
Le Mercosur (Mercado Común del Sur en espagnol), créé en 1991 par le traité d’Asunción, est une alliance économique regroupant l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay. La Bolivie a rejoint le bloc en 2024, tandis que plusieurs pays comme la Colombie, le Chili et le Pérou y participent en tant que membres associés.
En tant que quatrième bloc économique mondial, après le Partenariat régional mondial (RCEP), l’accord Canada-États-Unis-Mexique et l’Union européenne, le Mercosur représente une zone de 300 millions d’habitants et génère 82 % du PIB sud-américain .
C’est pourquoi le Mercosur vise une intégration économique renforcée à travers une politique commerciale commune et une harmonisation progressive des réglementations.
Une dynamique économique et commerciale contrariée
Le Mercosur constitue une puissance économique majeure en Amérique latine. Cependant, le bloc reste marqué par des déséquilibres internes :
- Le rôle dominant du Brésil : Avec environ 50 % du PIB du bloc, le Brésil est l’acteur central du Mercosur, ce qui peut provoquer des tensions avec des économies plus modestes comme l’Uruguay ou le Paraguay.
- Une dépendance aux matières premières : Le Mercosur repose en grande partie sur l’exportation de produits agricoles (soja, viande, sucre) et de ressources naturelles (pétrole, minéraux de fer, lithium). Cette dépendance le rend vulnérable aux fluctuations des marchés mondiaux.
- Des tensions internes : Les intérêts divergents des membres ont souvent ralenti les progrès vers une intégration plus poussée. Par exemple, les différends commerciaux entre l’Argentine et le Brésil, deux piliers du Mercosur, ont souvent mis en péril la cohésion du bloc.
Par ailleurs, la coordination entre les politiques économiques nationales est parfois difficile, en raison de différences d’orientation entre gouvernements.
Le Mercosur, accord ambitieux : « Viande contre voitures »
En fait, l’accord UE-Mercosur prévoit la suppression de 90 % des droits de douane entre les deux blocs sur de nombreux produits agricoles et industriels. Concrètement, les entreprises européennes bénéficieraient de nouveaux débouchés pour l’automobile, la chimie et les produits pharmaceutiques.
En retour, les pays du Mercosur pourraient exporter à grande échelle des produits agricoles tels que la viande, le sucre, le riz ou encore le soja.
- viande bovine et porcine (Brésil, Argentine, Uruguay) ;
- soja et ses dérivés (Brésil, principal producteur mondial) ;
- sucre (Brésil) ;
- céréales comme le maïs et le riz.
Et là, cette perspective ne passe pas du tout pour le secteur agricole français déjà très fragilisé ! En effet, les agriculteurs français font face à des marges de plus en plus réduites à cause des coûts élevés de production et de la faible valorisation de leurs produits.
Selon les dernières données, la France perd environ 100 fermes par semaine ! Or, l’Europe importerait chaque année 99 000 tonnes de bœuf sud-américain sans taxes, tandis que le Mercosur réduirait les taxes sur des produits européens tels que le chocolat, le vin ou les spiritueux.
Cet échange, souvent résumé par l’expression « viande contre voitures », inclut donc des quotas spécifiques.
Pourquoi cet accord UE-MERCOSUR divise-t-il ?
1. Les inquiétudes des agriculteurs européens
Les syndicats agricoles, notamment en France, dénoncent une concurrence déloyale. En effet, les produits agricoles importés du Mercosur ne respectent pas les normes européennes strictes en matière environnementale et sanitaire. Les pratiques sud-américaines, comme l’utilisation de fourrages OGM, d’antibiotiques ou d’hormones de croissance, sont jugées incompatibles avec les normes européennes.
Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, résume cette opposition :
« L’Europe ne doit pas devenir une passoire et accepter des produits que nous refusons de produire ici. »
« On parle de bœuf aux hormones, de poulets accélérateurs de croissance, des produits que l’Europe se refuse à produire », déplore Arnaud Rousseau, président de la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles), soulignant que de tels produits pourrait être commercialisé en Europe, créant ainsi une distorsion de concurrence.
Les agriculteurs craignent également une déforestation accrue en Amazonie, déjà exacerbée par l’expansion agricole, ainsi que la disparition progressive des élevages locaux.
2. Les arguments économiques et géopolitiques
L’UE, à l’initiative de cet accord, s’est réunie en avant des arguments stratégiques. Outre un gain économique accru à 15 milliards d’euros pour l’Europe, cet accord permettra de sécuriser les approvisionnements en minéraux stratégiques tels que le lithium et le cobalt, largement disponibles en Amérique du Sud.
L’accord s’inscrit aussi dans une logique géopolitique : éviter que le vide laissé par l’absence de partenariat soit comblé par la Chine, déjà très présente en Amérique latine.
Selon des experts, « si nous ne concluons pas un accord avec eux, ce vide sera rempli par la Chine », a prévenu Kaja Kallas, la future cheffe de la diplomatie européenne.
Positions et perspectives politiques
1. La France en première ligne de l’opposition contre le Mercosur
Le gouvernement français rejette catégoriquement l’accord dans sa version actuelle. Le Premier ministre Michel Barnier a récemment déclaré que cet accord « va à l’encontre de tout ce que nous faisons pour sauver notre agriculture ».
La France exige notamment des garanties sur trois points :
- Respect des engagements climatiques de l’accord de Paris ;
- Prévention de la déforestation importée ;
- Mise en place de mesures miroirs imposant des normes sanitaires et environnementales équivalentes entre les deux blocs.
2. Une Europe divisée
L’Allemagne et l’Espagne soutiennent l’accord, le voyant comme une opportunité économique majeure. À l’inverse, la Pologne, l’Autriche et, dans une moindre mesure, l’Italie, expriment des réserves, notamment pour protéger leurs secteurs agricoles.
La France tente de constituer une minorité de blocage au Conseil européen, bien que cette tâche s’avère délicate.
3. Un avenir incertain
Pour entrer en vigueur, l’accord doit encore être ratifié par le Parlement européen. Les débats y restent vifs, notamment au sein des délégations françaises, largement opposées à l’accord.
Mercosur, tournant économique ou menace pour l’agriculture ?
Le traité UE-Mercosur illustre la complexité des accords de libre-échange dans un monde globalisé. S’il promet un renforcement des liens économiques entre deux blocs majeurs, il met aussi en lumière les tensions entre croissance économique, enjeux environnementaux et justice sociale.
La mobilisation des agriculteurs français et la position intransigeante de certains États européens montrent que cet accord ne pourra voir le jour qu’au prix d’ajustements significatifs. L’avenir de cet accord dépendra de la capacité des deux parties à trouver un compromis acceptable pour tous.
L’aspect géopolitique de cet accord ne se limite cependant pas à l’accès aux minéraux convoités.
Dans une société où les tensions économiques internationales s’intensifient, l’UE cherche à solidifier son influence en Amérique latine face à la montée en puissance de la Chine, tout en diversifiant ses partenaires commerciaux dans un contexte international incertain.