Des dirigeants, qui se sont opposés à l’exploitation minière (mouvement protestataire « Conga no va ! ») ces derniers mois dans la région de Cajamarca, située au nord-ouest du Pérou, ont annoncé qu’ils déposeraient, comme prévu, la semaine prochaine une pétition auprès de la Commission interaméricaine des droits de l’homme ou CIDH pour dénoncer les abus perpétrés par les forces de sécurité dans le cadre du conflit social suscité par le projet Conga.
Le projet minier Conga fortement remis en question par les communautés rurales pour les supposés dommages environnementaux qu’il doit causer, en particulier sur les réserves d’eau de la région, a été initialement approuvé en octobre 2010 après la validation de l’Étude sur l’impact environnemental. Mais la population locale qui vit essentiellement de l’agriculture et de l’élevage a clairement manifesté son opposition craignant en toute logique l’impact sur l’environnement et sur leur santé (la crainte de contaminations au mercure et au cyanure). Le président de la République, Ollanta Humala avait décrété, lundi 5 décembre 2011, l’état d’urgence dans quatre provinces de la région de Cajamarca (Cajamarca, Celendín, Hualgayoc et Contumazá) où la mise en place du projet minier Conga (dont l’investissement est estimé à 4800 millions de dollars) avait suscité le mécontentement des habitants. Une contestation qui avait pris la forme de vives manifestations animées par des milliers d’opposants depuis la mi-novembre par crainte des conséquences que pourrait induire cette exploitation aurifère et cuprifère (mine de Yanacocha contrôlée actuellement par la compagnie nord-américaine Newmont Mining Corporation et la Compañia Peruana Buenaventura ).
« Cette requête a été déposée parce que l’État n’a pas respecté les droits des patrouilles paysannes et indigènes, nous dénonçons la façon dont a agi l’État face aux protestations contre le mégaprojet Conga, en ayant recours à la violence et à la répression », a affirmé lundi le leader de la Cunarc (Central Unica Nacional de Rondas Campesinas), Ydelso Hernández.
Le conflit social Conga a fait cinq morts parmi les civils
« Pour ces raisons, nous déposerons le 18 mars notre requête à Washington devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme », précisant que le recours légal a été présenté il y a maintenant un an. Les protestations violentes contre le projet minier ont perduré jusqu’au mois de juillet de l’année dernière et ont fait cinq morts.
L’assesseur du gouvernement de Cajamarca, Segundo Mata, a confirmé que les autorités régionales se joindraient aux poursuites menées contre l’État péruvien devant le haut Tribunal dans l’objectif de dénoncer « les actes de persécutions à l’encontre des dirigeants sociaux ».
« C’est une décision prise par le président de Cajamarca, Gregorio Santos », a précisé le conseiller. Les représentants indigènes avaient annoncé fin février 2012 qu’ils présenteraient une requête devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme ou encore devant le Tribunal constitutionnel pour dénoncer la violation manifeste de leurs droits.
Les leaders comptent dénoncer « le caractère non viable du projet » en insistant sur le fait que la violence a été générée par la propre entreprise minière. Les manifestations avaient opposé les forces de l’ordre aux indigènes faisant plusieurs blessés et causant la mort de cinq civils parmi lesquels un adolescent. Le gouvernement du président de la République Ollanta Humala a de son côté accusé les secteurs extrémistes d’attiser les conflits sociaux, mais il s’était engagé toutefois à résoudre le conflit au moyen du dialogue, un compromis qui a permis de mettre fin aux mouvements de grève. De son côté l’entreprise Newmint Minning s’est engagée à garantir l’approvisionnement en eau potable à la population de Cajamarca et a réitéré sa volonté de poursuivre l’exploitation des ressources naturelles selon les normes fixées.
Devant la grogne, le gouvernement avait pris la décision il y a un an d’envoyer une délégation d’experts internationaux pour étudier l’impact écologique de l’exploitation minière sur la région. Le rapport avait conclu à la nécessité d’apporter des ajustements dans le domaine écologique, sous ces conditions précises l’exploitation était jugée viable. Le président de la République avait donc donné son aval à la poursuite du projet minier.
« L’entreprise doit répondre aux exigences environnementales et sociales qui découlent du rapport et des études afin que soient multipliées par quatre les réserves en eau ».
Le Pérou est à l’heure actuelle le second producteur mondial de cuivre, d’argent et de zinc, il est également le sixième producteur d’or, le secteur minier constitue l’un des moteurs les plus importants de l’économie nationale et les exportations dans ce domaine représentent 60 % des envois totaux.
L’entreprise de Yanacocha a par ailleurs assuré, il y a quelques jours, pour faire taire les rumeurs, qu’elle ne se retirerait pas de Cajamarca et qu’elle poursuivrait ses opérations débutées dans la mine sachant que la production devrait être stable jusqu’en 2015.
« Nous avons un profil de production stable jusqu’en 2014-2015. Pour les années suivantes, notre entreprise envisage une série de projets auxquels nous travaillons actuellement, car ils nécessitent des études complémentaires, ils devront s’inscrire dans un climat social adéquat et dans le cadre de la loi », a affirmé le gérant des affaires coopératives de la mine, Javier Velarde. Au moyen d’un communiqué, l’entreprise a rejeté l’information d’un journal local qui prétendait que l’entreprise se retirerait de la région en 2016.
« Nous avons exposé avec transparence les objectifs que nous avons pour les années à venir, mais il est hors de question que nous abandonnions Cajamarca en 2016 », a affirmé Velarde.
La production péruvienne en cuivre, or et argent a toutefois diminué en janvier 2013, tandis que la production d’autres minerais a augmenté. Le ministère des Mines et de l’Énergie a signalé en début de semaine dans un communiqué que le Pérou a produit 93 469 tonnes de cuivre en janvier 2013, une baisse de 4,41 % par rapport au même mois de l’année dernière. La production d’or a également diminué de 25,12 % par rapport à janvier 2012, une situation qui s’explique justement par une baisse de production au sein de la principale entreprise minière du pays, Yanacocha (seconde mine d’or au monde).
Le pays sud-américain a connu un déclin dans la production de métaux clés en raison d’un épuisement de ses réserves, mais aussi du retard pris dans l’exploitation en raison des multiples conflits sociaux.
Toutefois, le gouvernement du président Ollanta Humala s’attend à une forte reprise de l’activité minière cette année, de nouveaux projets miniers devraient stimuler la production des principaux métaux. Autant dire que les conflits sociaux liés à l’exploitation des ressources naturelles au Pérou n’ont pas fini de raisonner au-delà des frontières nationales.
En 2012, 167 conflits sociaux ont été enregistrés au Pérou , 123 sont qualifiés de conflits « sociaux-environnementaux » tandis que seulement sept sont identifiés comme des conflits purement liés au monde du travail.
La communauté de Cañaris s’oppose à son tour au projet minier « Cañariaco »
Ces derniers mois a surgi dans la province de Lambayeque, plus précisément dans la localité de Cañaris un nouveau conflit justement lié à l’exploitation minière, un mouvement protestataire qui a déjà fait plusieurs blessés (dont deux graves). Les comuneros de la zone andine de Cañaris, située à plus de 3000 m d’altitude dans la province de Ferreñafe (Lambayeque), ont clairement manifesté leur rejet du projet minier Cañariaco dans la zone, une exploitation envisagée par l’entreprise canadienne Candente Cooper.
Dans un rapport du mois de février l’entreprise Candente Cooper a informé sur sa page officielle que les résultats de la première exploration confirmaient la présence d’or et de cuivre. Un bras de fer qui s’annonce de nouveau ardu entre les communautés défendant leurs territoires de toute contamination et les autorités nationales désireuses d’attirer les investisseurs étrangers y compris en bafouant le droit de consultation préalable dont jouissent les natifs en accord avec la Convention 169 de l’OIT adoptée au Pérou en 1995 .
Cependant, le litige tourne désormais autour de la notion même « d’indigène », ainsi en 2011 Pedro Martínez, président de la Sociedad Nacional de Minería, Petróleo y Energía (SNMPE), avait déclaré au quotidien Expreso que dans le cadre du projet minier Conga, la loi de consultation préalable ne pouvait pas être appliquée précisant qu’elle concerne uniquement « les communautés natives originaires » et qu’il ne fallait pas assimiler « campesinos » (paysans des zones rurales) et « indigenas » (indigènes, descendants directs des communautés qui vivaient avant la Conquête). Un argument également avancé par le vice-ministre à l’Interculturalité, Iván Lanegra, au moment d’expliquer les modalités d’application de la loi, sachant que, de toute façon, en cas de profond désaccord entre les natifs et les autorités, l’État reste l’ultime décisionnaire.
« Le fondement de notre résistance indigène s’explique par l’intromission et de l’invasion de notre territoire ancestral par l’entreprise minière Candente Copper Corporatión-Cañariaco », ont tenu à préciser les communautés de Cañaris. Selon la Defensoría del Pueblo, la communauté de San Juan de Cañaris est bel et bien indigène, 64 % de la population parle quechua en première langue, un moyen de revendiquer le droit à la consultation préalable…
En novembre 2012, 24 millions d’hectares étaient dédiés aux concessions minières, ce qui représente une superficie totale de 19 %. Les concessions minières affectent principalement les communautés paysannes, majoritairement indigènes de la Sierra et Costa du centre et du Nord du pays.
(Aline Timbert)
Découvrez le reportage de Gianni Converso « A tajo abierto » (« Open Pit ») pour mieux comprendre les enjeux liés à l’exploitation minière à Cajamarca