Des indigènes équatoriens ont bravé la justice ordinaire de leur pays en immolant par le feu deux individus de sexe masculin, un acte clairement considéré comme un assassinat mais que les auteurs légitiment en évoquant le recours à la justice communautaire, admise selon eux par la Constitution.
Pedro Velasco et Víctor Naranjo, âgés respectivement de 26 et 27 ans, ont péri par le feu le 23 mai à Loreto, imbibés d’essence après une bagarre, a signalé à l’AFP le procureur Pio Palacios de la province d’Orellana (Amazonie, sud), où les faits ont se sont déroulés.
D’après différents témoins, une violente dispute aurait éclaté suite à un différend foncier et « l’un des dirigeants de la communauté, Mario Alvarado, a considéré qu’ils devaient être brûlés vifs », a expliqué le magistrat. « Ils ont été attachés, pieds et mains liés, frappés et ensuite Alvarado a amené de l’essence, les a arrosés et immolés jusqu’à ce qu’ils soient complètement brûlés », a affirmé Pio Palacios en précisant que les assassins des deux hommes avaient aussi versé de l’aji, un condiment alimentaire très piquant, dans leurs yeux.
Suite aux évènements, Mario Alvarado et sept autres personnes ont été placés en détention provisoire sous le chef d’accusation d’assassinat, mais le commanditaire du meurtre se défend en invoquant la loi indigène qui permet l’application de la justice communautaire, un droit qui apparaît dans la Constitution approuvée en septembre 2008 par les autorités équatoriennes.
Cependant, le magistrat n’admet pas qu’un tel acte de barbarie puisse s’inscrire dans le cadre de la justice communautaire « Cet argument ne tient pas. La Constitution reconnaît aux peuples indigènes la possibilité de résoudre des conflits à condition qu’ils respectent la loi et les droits de l’Homme. En outre, la peine de mort n’existe pas en Equateur ». En effet, la constitution équatorienne de 2008, insufflée par le président Correa exige que ces mécanismes de justice communautaire « ne soient pas contraires à la législation en vigueur et aux droits de l’homme reconnus dans les textes ».
Le mandataire équatorien a ajouté « qu’il fallait réglementer cette conduite », tandis que le leader indigène Santiago Santi retorque qu’il n’y a « aucune crédibilité dans la justice commune » et que « lorsqu’un jugement est rendu par une juridiction indigène, la justice commune doit s’y plier ».
Le décès des deux jeunes s’est produit tandis qu’une affaire similaire avait déjà été à l’origine d’une polémique en Equateur après qu’Orlando Quishpe eut reçu des coups de fouet devant plusieurs milliers de personnes. Ce châtiment corporel se substituait à une condamnation qui devait lui être appliquée au sein de sa communauté pour avoir tué un homme en suivant ce mode opératoire.
La Constitution équatorienne reconnaît la justice indigène en établissant que les communautés indigènes « pourront exercer des fonctions juridiques, en accord avec leurs traditions ancestrales et leur droit propre, dans le cadre de leur environnement ». Mais la constitution précise que les autorités indigènes pourront appliquer leur justice » pour traîter des conflits internes, qui ne sont pas contraires à la Constitution et aux droits humains reconnus par les textes constitutionnels ».
Le juriste Ramiro Aguilar déclare qu’ en accord avec la Constitution, la justice indigène ne peut pas traiter des affaires d’intérêt public dont la responsabilité d’intervention revient à l’Etat, comme c’est le cas pour un assassinat. Selon lui, les décisions prises par une communauté ne peuvent pas aller à l’encontre des droits humains, en appliquant un jugement qui s’apparente à de la « torture ».
Le constitutionnaliste Ernesto López, pour sa part, affirme que l’Etat doit garantir que les manifestations de justice communautaires s’exercent dans le cadre des canons constitutionnels.
« En Equateur, il n’y a pas une seule justice indigène car les diverses communautés appliquent la justice selon leurs propres concepts ». De nombreuses pratiques de justice communautaire vont à l’encontre des préceptes de la Constitution ».
Dans le but d’instaurer un débat durant laquelle serait analysée la différence entre justice ordinaire et justice indigène en Equateur, les dirigeants des différentes communautés indigènes de la province se sont réunis samedi 5 juin pour revenir sur la polémique lancée ces derniers jours. Durant cet évènement ont participé : Delfín Tenesaca, président de la Ecuarrunari, Manuel Ainaguano président du Mouvement Indigène de Tungurahua et les représentants des différentes communautés. Evènement qui s’est tenu dans le Salon de l’Hôtel Guayaquil.