Différentes organisations indigènes du Chili ont réclamé le 22 février l’officialisation de la langue mapuche ainsi que la reconnaissance de son usage dans l’administration publique, dans le milieu éducatif, mais aussi dans les médias.
Une demande écrite en bonne et due forme a été adressée au président de la république chilien, Sebastián Piñera, par les autorités de la région d’Araucanie située à environ 800 km au sud de la capitale, Santiago, et plus précisément par la municipalité de Temuco, capitale du territoire araucan et territoire ancestral de la communauté mapuche.
Cette réclamation fait partie d’un ensemble d’initiatives menées à l’occasion de la célébration de la Journée internationale de la langue maternelle commémorée la veille. La Journée internationale de la langue maternelle a été proclamée par l’UNESCO en novembre 1999, elle est célébrée tous les 21 février depuis l’année 2000 par les états membres et au siège de l’UNESCO afin de promouvoir la diversité linguistique et culturelle ainsi que le multilinguisme.
À ce sujet, le journal El Cuidadano a mentionné que des centaines de personnes avaient défilé dans les rues de Temuco pour réclamer des mesures politiques favorables à la revitalisation du Mapuzugun, la langue des natifs mapuches. Les manifestants ont demandé par ailleurs à ce que soient modifiés les noms des places et avenues qui offensent la mémoire historique des peuples autochtones. Actuellement, il existe au Chili neuf langues, parmi lesquels huit idiomes indigènes, cependant seule la langue castillane est considérée comme langue officielle sur le territoire chilien. Des experts dans ce domaine regrettent qu’il en soit ainsi et ont alerté les autorités nationales sur le risque de disparition pure et simple qui menace certaines langues comme le Mapuzugun, un idiome qui est considéré par certaines élites dirigeantes comme « barbare » et « arriériste ». Aujourd’hui on favorise dans les plus hautes sphères une politique publique unilingue qui passe par le monopole de l’espagnol.
Le Chili a développé une politique linguistique préjudiciable vis-à-vis des langues natives, certains n’hésitant pas à parler d’un véritable « génocide linguistique ». Il est cependant à noter que le Chili est signataire de la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle, laquelle promeut les droits linguistiques des minorités tout en incitant l’État à oeuvrer favorablement en ce sens. Les peuples autochtones, par la voix du Réseau pour les droits éducatifs et linguistiques des peuples indigènes du Chili (Red EIB), ont émis trois revendications majeures, tout d’abord les natifs demandent au Conseil national d’éducation d’inclure la connaissance des peuples indigènes et de leurs droits dans le cadre des cours d’histoire, de sciences sociales et de géographie, deuxièmement ils réclament la création d’un Institut national des langues indigènes, enfin ils souhaitent obtenir la mise en place d’un système d’enseignement interculturel public et bilingue pour toutes les communautés autochtones. Selon la Red EIB, sur les huit langues présentes au Chili seul quatre d’entre elles sont encore usitées ( le Quechua, l’Aymara, le Rapa Nui et le Mapudungun). Seul un tiers de la population adulte indigène est capable de s’exprimer dans sa langue natale au quotidien.
Par ailleurs, l’organisation souligne que la langue Kawescar connaît un véritable processus de reconstruction linguistique sans locuteurs indigènes, le Selknam n’est déjà plus parlé au Chili, quant à la langue Likan Antay non seulement elle n’est plus parlée, mais en plus la grammaire a disparu, ce qui ne permet plus de faire renaître cet idiome.
En excluant les natifs du contenu des programmes universitaires, les autorités violent la Convention 169 relative aux peuples autochtones, qui établit « un cadre légal pour la protection des peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants et définit des règles particulières applicables aux groupes ethniques dans divers domaines, tels que la procédure du travail, l’éducation, la santé et le secteur judiciaire », entre autres.
Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones :
Article 13:
1. Les peuples autochtones ont le droit de revivifier, d’utiliser, de développer et de transmettre aux générations futures leur histoire, leur langue, leurs traditions orales, leur philosophie, leur système d’écriture et leur littérature, ainsi que de choisir et de conserver leurs propres noms pour les communautés, les lieux et les personnes.
2. Les États prennent des mesures efficaces pour protéger ce droit et faire en sorte que les peuples autochtones puissent comprendre et être compris dans les procédures politiques, juridiques et administratives, en fournissant, si nécessaire, des services d’interprétation ou d’autres moyens appropriés.
Selon un récent rapport de l’Unicef, les enfants et adolescents indigènes (85,5 % de la population indigène infantile appartient à la communauté mapuche, 8,2 % au peuple aymara, et le pourcentage restant est réparti parmi les six autres communautés) sont les plus pauvres et ne connaissent pas pour la plupart la langue de leur communauté, ils vivent majoritairement en zone rurale et ont très peu de chances d’accéder à l’université, de plus la plupart du temps c’est la mère de famille qui assure les besoins du foyer. Ce sont les grandes lignes qui se dégagent du rapport intitulé “Incluir, sumar y escuchar: Infancia y adolescencia indígena” (http://www.unicef.org/lac/Incluir_Sumar_y_Escuchar_WEB.pdf), réalisé par l’Unicef et le ministère du Développement social du Chili.
La population indigène infantile perd l’usage de sa propre langue native, 89,4 % des mineurs de moins de 18 ans déclarent ne pas parler ni même comprendre l’idiome de leur communauté (seulement 3,7 % de la population indigène infantile est capable de parler et de comprendre la langue de ses aïeuls). D’autre part, la pauvreté parmi les enfants et adolescents indigènes atteint 26,6 %, ce taux étant de 21,7 % parmi les mineurs non indigènes.
Cette étude permet de constater que la population infantile indigène perd l’usage de la langue de ses ancêtres, triste réalité…
Selon le centre des politiques publiques, cette situation s’explique en grande partie par l’absence de droits en matière linguistique, et en l’absence d’une politique éducative interculturelle bilingue sur le territoire chilien. Le ministère de l’Éducation consacre à peine 1 % de son budget à l’EIB !
D’un point de vue éducatif, l’accès aux établissements scolaires a augmenté de façon significative parmi la population indigène comme la non-indigène. Au niveau de l’école primaire, la couverture est la même entre les deux groupes cependant on note des brèches entre zones rurales et urbaines.
Les revendications linguistiques menées par les indigènes chiliens et plus particulièrement la communauté mapuche surviennent alors que les organisations indigènes du Chili ont réclamé le 24 février la démission du vice-ministre de la Pêche, Pablo Galilea, pour avoir proféré des propos injurieux et racistes à l’encontre d’un leader mapuche. Le ministre a reconnu avoir insulté le lonko (leader naturel), Eric Vargas Quinchaman, après que ce dernier l’ait interpellé sur le fait que sa communauté n’avait pas été invitée à une feria (sur les produits de la mer) organisée dans la ville de Puerto Montt, capitale de la région de Los Lagos.
Les tensions entre l’État chilien et le peuple mapuche ne font que s’accroître, essentiellement au sujet de la restitution de leurs territoires ancestraux, le représentant mapuche Fidel Tranamil avait dénoncé ouvertement l’État chilien en l’accusant de « commettre un génocide dissimulé envers le peuple mapuche », une déclaration effectuée dans un rapport en octobre 2011 remis à la Commission de soutien au peuple mapuche afin d’attirer l’attention de l’ONU et du Parlement européen sur les abus commis par les autorités chiliennes envers le peuple indigène.
Les Mapuches dénoncent la pression exercée par l’État chilien contre les terres de leur communauté, ils se réfèrent à ce titre aux multiples expropriations dont ils sont victimes et qui permettent la plantation d’eucalyptus et de pins dont le bois et la cellulose constituent des mannes financières, privant les Mapuches, entre autres, d’accès à l’eau.
(Aline Timbert)